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Gabin Villière, des racines et des ailes

Par Vincent Bissonnet
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    Gabin Villière, des racines et des ailes
Publié le Mis à jour
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Mais qui est donc la nouvelle pépite du rugby à 7 français, élu meilleur joueur à Hong Kong la semaine passée ? Voici le parcours de cet ailier rouennais...

Un monde sépare Saint-Lo de Hong Kong. 9 800 km approximativement. Dimanche dernier, un même frisson a pourtant parcouru le Stade de l’Aurore et le Stadium de So Kon Pon, à chaque coup de rein ou d’éclat de Gabin Villière. La révélation d’un jour, en Asie. L’enfant du pays, vu de Normandie : "Ce week-end là, je jouais un match en Honneur à Saint-Lo, raconte Grégoric Bouly, un de ses entraîneurs à Rouen. Gabin y a joué quand il était plus jeune. Les gars du club s’étaient débrouillés pour voir les matchs sur grand écran. Tout le monde a vibré. Même moi qui suis pilier, je ne regarde le VII que pour lui." Richard Hill, son manager, en parle comme d’un ambassadeur : "Il devient une idole pour tous les jeunes ici. Il leur prouve qu’il est possible d’atteindre les sommets en partant de loin. Nous en sommes très fiers. C’est assez fou quand même : un mec de Fédérale qui brille autant au niveau international."

En quatre tournois seulement, Gabin Villière est devenu une des attractions phares du circuit et le premier tricolore à recevoir le titre de meilleur joueur d’une étape. "Sa réussite ne me surprend pas", témoigne Richard Hill. Avant de concéder : "Enfin, si un peu quand même." Le parcours comme le profil de l’ailier peuvent dérouter. Tombé amoureux du rugby au CP, avec ses amis d’enfance, Gabin Villière a suivi un itinéraire bis, quelque peu tortueux : "Gabin voulait à tout prix percer dans ce sport, raconte sa mère, Laurence Lucas. Moi, ma priorité restait les études. Son beau-père a tout de même fait en sorte qu’il passe les sélections chez les pros. Il est allé à Clermont, Toulon, Oyonnax, Massy, Bourgoin… Il n’a été retenu nulle part. L’éloignement géographique a pesé. Il n’avait que 17 ans. Et comme nous sommes très proches… Je me souviens que le rapport d’Oyonnax l’avait beaucoup vexé : il le voyait comme trois-quarts et non comme demi de mêlée." Un jugement prémonitoire... 

Même après de bons matchs, il se trouve parfois nul

À 17 ans, le Normand se retrouve face à une page blanche. Tout reste à écrire : "En juin, il n’avait plus de club et pas de fac. Rouen avait entendu parler de lui par un sélectionneur des sélections jeunes. Il y a eu la rencontre et ça a bien accroché. En parallèle, Gabin s’est inscrit en Staps. Il aurait préféré intégrer un club pro mais c’était un bon compromis." Quelques mois après son arrivée au sein du tout nouveau pensionnaire de Fédérale 2, en 2013, Richard Hill débarque au stade Jean-Mermoz. Sa première impression de l’énergumène reste, pour le moins, contrastée : "Il est arrivé chez nous en tant que 9. Mais honnêtement, ça n’allait pas du tout. En fait, il ne passait jamais le ballon. Il voulait jouer les coups tout seul. Il était assez clair que son avenir n’était pas à la mêlée." "Il avait du talent mais il fallait trouver à quel poste l’exploiter", confirme Grégoric Bouly. L’ancien international anglais reprend le processus : "Il a été testé au centre mais il n’avait pas le niveau technique des autres. Il y avait encore un gros travail de formation à effectuer sur sa passe, son jeu au pied, son plaquage. Il a fini ailier du coup." 

À l’approche de ses 18 ans, Gabin Villière voit son confort chamboulé en passant de la mêlée à l’aile, de Vire à Rouen, des catégories jeunes à la cour des grands : "Il a eu une vraie année d’adaptation, se souvient Grégoric Bouly. Il changeait de poste, s’éloignait de sa famille et devait reconstruire sa vie." Ses qualités et son tempérament lui permettent de franchir ce cap : "Le jour où je l’ai rencontré, aux côtés de sa mère et de son beau-père, j’avais découvert un gamin rayonnant, ouvert, plein d’allant", raconte le pilier, passé par Aurillac. Richard Hill a aussi apprécié le bonhomme au premier coup d’œil : "J’ai tout de suite aimé son attitude. C’est un sacré travailleur. Il était déjà très dur envers lui-même. Aujourd’hui encore, quand il sort de très bons matchs, il dit s’être trouvé nul alors que ce n’est pas du tout le cas. Mais il est comme ça. Il veut toujours faire mieux."

Ce n’était pas très dur de le repérer

Derrière le sourire innocent du petit jeune, le compétiteur se révèle. "Je l’ai connu quand il jouait avec la réserve, se remémore Wilfried Hounkpatin, son partenaire pendant quatre saisons, aujourd’hui à Castres. Il était avec sa bande de copains mais Richard l’a très vite fait monter en une vu son potentiel. C’est simple : quand il accélérait, personne ne pouvait le suivre." Après une première saison à cinq essais en dix rencontres, l’ailier de reconversion explose : en 2016-2017, il frappe à vingt-six reprises. "Quand le je le voyais déposer les défenseurs, je me disais : "Wouah heureusement qu’il est avec nous et pas contre", sourit le pilier droit. Sa moyenne supérieure à un essai par match et sa prestation trois étoiles en finale du Trophée Jean-Prat, en juin 2017, confèrent au natif de Vire une petite notoriété à l’échelle fédérale.

Jusqu’à Marcoussis, sur les tablettes des responsables du VII : "Ce n’était pas très dur de le repérer, tempère Jérôme Daret, le sélectionneur. Quand j’étais à Dax, je le suivais de près. Un mec qui met trente essais en une saison, c’est déjà un bon indicateur de performance. Quand j’ai rejoint l’équipe de France, j’en ai rapidement parlé à Christophe Reigt." Le destin de Gabin Villière emprunte un tournant inattendu : "Un jour, Christophe est venu me voir pour me dire qu’il voulait tester Gabin, reprend Richard Hill. J’ai estimé que c’était une très bonne chose qu’un Normand ait une telle chance en Bleu. Pour le joueur, c’était l’occasion de progresser au contact du plus haut niveau." Laurence Lucas poursuit : "Quand Richard lui en a parlé, il avait des étoiles plein les yeux." Au passage, ses dirigeants y voient l’opportunité de prolonger, jusqu’en 2021, l’engagement de cette pépite, alors courtisée de toutes parts : "Il avait des propositions de clubs pros mais nous avons misé sur la double possibilité de pratiquer le VII et de participer au projet de Rouen", explique Grégoric Bouly. Les racines et les ailes, tout à la fois. L’équilibre parfait pour cet électron libre sur le terrain tellement attaché à sa terre au quotidien. "Tu ne peux pas faire plus Normand que lui, sourit Wilfried Hounkpatin. Il a toujours une pensée pour son club d’origine, d’ailleurs : quand il a eu son premier contrat équipementier, il a commencé par passer une commande pour son école de rugby." 

Quand il ne peut plus jouer, c’est la fin du monde

Entre Rouen et Marcoussis, Gabin Villière mène sa double mission. "J’ai une bonne relation avec Christophe Reigt, heureusement, explique Richard Hill. On essaye d’aménager son programme pour ne pas l’épuiser. J’y trouve mon compte : chaque fois qu’il revient d’un tournoi, il est encore meilleur." La saison passée, entre des déplacements à Strasbourg et Aix-en-Provence, l’ailier découvre le circuit mondial à Las Vegas et Vancouver. La reconversion se révèle être une vocation : "Il a toutes les qualités pour s’illustrer dans la discipline, décrit le manager anglais. C’est tellement difficile de le plaquer. Je ne sais pas trop comment l’expliquer mais il est intenable, il arrive toujours à raffûter ou à repartir. L’adversaire ne peut jamais savoir ce qu’il va tenter." En l’espace de neuf apparitions, agrémentées de cinq essais, il gagne sa place pour le Mondial. Une percée fulgurante : "Aller à San Francisco, c’était énorme, s’extasie sa maman. Et le clin d’œil était sympa. C’est Bernard Laporte qui lui a remis son maillot. En 2004, quand il était sélectionneur, il était venu à Vire pour décerner un titre au club. Gabin était tellement content." En revenant des Etats-Unis, ses yeux pétillaient mais le corps grinçait : "L’an dernier, il avait fini fatigué. Il n’était pas habitué à cumuler les deux pratiques", reconnaît Richard Hill. En septembre, le couperet tombe : une fracture de la malléole l’éloigne des terrains pour trois mois. Laurence Lucas souffle : "Quand il ne peut plus jouer, c’est la fin du monde pour lui." Passée la pénitence, il reprend sa folle cavalcade, en décembre. S’ensuit un printemps on ne peut plus radieux : des prestations détonantes à Vancouver, une première finale sur le circuit, des exploits en cascade à Hong Kong et l’honneur d’une distinction personnelle.

"Je l’ai eu par message depuis dimanche, il me dit que c’est magique ce qu’il vit, témoigne sa mère. Il me parle beaucoup des Blacks. Je prends conscience que c’est un rêve qu’il a réalisé." Et le meilleur reste encore à venir, probablement. "Après Singapour ce week-end, il va revenir avec nous pour les phases finales, annonce Richard Hill. Il sera disponible pour les deux quarts et la demie, si tout va bien." Une participation à la finale acterait le passage des Normands dans le giron professionnel : "C’est son rêve de monter en Pro D2 avec Rouen", reprend Laurence Lucas. Cet objectif suprême en cache un autre : trois semaines après la possible finale du championnat, l’ailier partira en quête d’une qualification pour les JO de Tokyo, à l’occasion du tournoi européen de Colomiers.

Mais où s’arrêtera donc, Gabin Villière ? Richard Hill en est convaincu : son protégé peut aller encore beaucoup plus loin, à VII et même à XV. "Vous savez, ce n’est pas encore un joueur complet. En défense, il se trompe encore même s’il comprend mieux. Son jeu au pied est toujours perfectible. Sur sa passe, il peut progresser, aussi. Mais s’il continue sur sa lancée, il peut aller le plus haut possible." Pour la plus grande fierté de tous les Normands. à commencer par sa maman : "Gabin est courageux, persévérant. Il mérite ce qui lui arrive. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est qu’il vit son rêve à fond sans perdre son humilité." Au plus près des étoiles mais les pieds toujours ancrés au sol de sa terre natale. Made in Normandie.

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