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Anthony Martrette : ses blessures assassines

Par Nicolas Zanardi
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Publié le Mis à jour
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Anthony Martrette est l’homme qui restera comme le premier rugbyman professionnel à avoir brisé l’omerta du dopage lourd dans le rugby. Il s’est éteint le 9 avril 2019. Alors que le premier examen médico-légal avait conclu à une mort naturelle, c’est l’obstination d’un père bien décidé à faire éclater la vérité qui a permis l’ordonnance d’une autopsie, dont ce dernier attend beaucoup. Un ultime combat dans la lignée de celui d’Anthony, déterminé à mettre le monde du rugby face à ses responsabilités. Une plainte contre X pour « non-assistance à personne en danger » a été déposée.



Anthony Martrette est décédé dans la nuit du mardi 2 au mercredi 3 avril. La quarantaine à peine dépassée, l’ancien troisième ligne aile a été retrouvé au petit matin jeudi dans son appartement de Port-Vendres, où il aurait succombé à un malaise. Formé à Collioure puis à la Côte Vermeille et l’ES Catalane, passé ensuite par l’Usap, Bourgoin, Aurillac, Colomiers ou encore Poitiers, Béziers et Oloron, entre feu le Top 16 et la Fédérale 1, Anthony Martrette était le premier rugbyman professionnel à avoir révélé en 2016 s’être dopé à la suite d’une blessure, dans un reportage pour le magazine Stade 2. Il avait mis un terme à sa carrière en 2012 et depuis, la chute n’en avait été que plus rapide, entre hospitalisations, traitements médicamenteux lourds, handicap à 80 %. «Je l’avais revu après le reportage qu’il avait fait dans Stade2, confie Michel Peuchlestrade, son ancien entraîneur du côté d’Aurillac. Je l’avais trouvé changé, bouffi. Je me disais que les années étaient passées, pas qu’il continuait à prendre des produits. » La réalité était pourtant là, ainsi qu’Anthony Martrette l’avait lui-même avoué dans les colonnes de l’Équipe. «Je prends des hormones de croissance pour régénérer mes cartilages, du Boldénone notamment. »

Aveu glaçant, assez symbolique d’une fuite en avant qui ne s’est donc arrêtée qu’au cours de cette sinistre nuit du 2 au 3 avril, quand bien même le premier examen médico-légal avait conclu à une mort naturelle par hémorragie cérébrale. Une version officielle à laquelle Laurent, le père d’Anthony, n’adhérait absolument pas. «Le médecin qui a constaté le décès a voulu aller vite et n’a pas voulu pratiquer d’autopsie. Quand j’ai appelé le médecin traitant de mon fils, le docteur Eustache, pour lui réclamer un examen, il m’a dit que l’Ordre des Médecins s’y opposerait. Alors, je suis allé porter en main propre une lettre au procureur de Montpellier, au vice-procureur de Perpignan, pour que la lumière soit faite. »



« Il y a deux ans, il avait déjà été plongé dans un coma artificiel »


Un premier combat finalement remporté en fin de semaine, puisque le corps d’Anthony Martrette est parti samedi à Montpellier pour y être autopsié. Le prélude d’une longue lutte pour l’établissement de la vérité. «Désormais, je travaille pour Anthony et tant que je serai là, je combattrai, assure Laurent Martrette. C’est pour cela que vendredi, j’ai porté plainte contre X avec constitution de partie civile pour non-assistance à personne en danger. Il faut savoir que c’est à Aurillac que mon fils est tombé dans la cocaïne. Il a été opéré du genou et comme le médecin titulaire qui devait procéder à l’opération était absent, son remplaçant lui a enlevé tout le cartilage… Après, il souffrait le martyre. Au début, le club le faisait jouer sous infiltration et plus tard, pour supporter la douleur, il s’est mis à jouer sous cocaïne. Et il y a pris goût… Il y a deux ans, il avait déjà été plongé dans un coma artificiel à la suite d’un problème cardiaque. J’ai essayé de le faire se désintoxiquer mais le mal était profond. »


L’ombre de la pédophilie

Initiative individuelle ou cautionnée par des tiers, fut-ce par omission? On laissera à la justice le soin de trancher, après enquête. Tout au plus se bornera-t-on, pour l’heure, à déplorer ce qui demeure un gâchis intégral. En effet, au-delà du sportif, l’homme Anthony Martrette avait aussi ses faiblesses, sur lesquelles son paternel lève à grand-peine un voile pudique. «Lorsqu’il avait 14 ans, alors que je l’avais amené chez un membre du comité du Roussillon pour passer des tests physiques, quelqu’un a commis des attouchements sur mon fils. Je ne l’ai appris qu’après, par le biais des gendarmes de Céret… » Où quand le tragique le mêle au grotesque, sur fond de querelle à la Chabrol, en plein pays catalan.

«Voilà vingt ans, j’ai été condamné à de la prison pour dénonciation calomnieuse, parce que j’avais distribué plus de 800 tracts pour dire que cette personne avait commis des agressions sexuelles sur des jeunes, tonne Laurent Martrette. Vous comprenez, il était président du conseil des prud’hommes, secrétaire adjoint de la chambre de métiers, élu au conseil municipal de Collioure… C’était un notable, quoi. Et c’est moi qui ait été condamné, parce qu’on a jugé que je racontais n’importe quoi pour déstabiliser la mairie! Sauf qu’au mois de novembre dernier, la même personne a été condamnée à 4 mois de prison avec sursis, pour la même raison qu’il y a vingt ans… Il a fait appel, mais le procureur de la République aussi. Et moi, en vertu de l’article 622-4 du code pénal, j’ai demandé à ce que le jugement de mon affaire soit révisé. Parce que cette histoire, j’y pense tous les matins depuis 20 ans. » Cette semaine plus que jamais, lorsqu’on en mesure les conséquences… «Sa fragilité venait-elle de là? Je le suppose, souffle Laurent Martrette. Il n’y a pas longtemps, il avait évoqué le sujet… Je suis simplement content qu’Anthony ait vu de son vivant son agresseur se faire condamner, même si ce n’était pas pour son affaire. Alors, je vais continuer à me battre. Pour rétablir son honneur. »



Cocaïne, stéroïdes, nandrolone, testostérone, clenbutérol…

Car la cicatrice était bien là, des plus profondes. De nature, n’en déplaise aux bien-pensants, à justifier certains excès et cette volonté de réussir à tout prix, quels qu’en soient les risques. « Anthony, c’était un sacré tempérament, le genre de joueur qui aurait fait n’importe quoi pour réussir, se souvient Michel Peuchlestrade. Je l’avais revu après une intersaison, complètement transformé en moins de deux mois. Il disait qu’il sortait d’un régime hyperprotéiné. On ne regardait pas ce qu’il y avait dans son sac mais évidemment, tout le monde avait des doutes… » Cocaïne, stéroïdes, nandrolone, testostérone, stanodril, clenbutérol… Tout devait y passer, ou presque, dans cette course contre son propre corps. «Il croyait qu’il allait tout péter, se rappelle Peuchlestrade. En 2005, nous avions joué un match de la montée contre Pau, à Toulouse. Ce jour-là, clairement, il ne savait plus où il habitait. Quand il montait en défense, il passait à côté des mecs… Je l’avais sorti peu après la mi-temps, juste après qu’il ait marqué un essai. » Parce qu’il s’agissait ce jour-là, pour Anthony Martrette, de l’ultime chance de renouer avec le rugby d’élite qu’il ne regarda que d’en dessous par la suite de sa carrière? Allez savoir… Le fait est que l’homme, comme rongé par un mal secret, ne parvint plus jamais à refaire surface, happé par ce côté obscur qu’il se faisait fort d’assumer. «Je le referais sans problème, avec de meilleurs produits peut-être, confiait-il maladroitement dans L’Équipe voilà trois ans. Il existe aujourd’hui des hormones de croissance indétectables… C’est juste une question d’éthique. Ces cures n’ont eu aucun effet sur ma santé. Elles ne sont pas dangereuses. »


« Après son témoignage, beaucoup lui ont tourné le dos »

Naïveté ? Déni de réalité ? Le fait est que, depuis de longs mois, Anthony Martrette ne parvenait plus à se mouvoir qu’avec une extrême difficulté, à l’aide de béquilles. Sans que personne ou presque, parmi la grande famille du rugby, ne se soit montré d’un grand secours, pas plus avant qu’après son intervention médiatique de 2016. «La vérité, c’est qu’après son témoignage, beaucoup de gens lui ont tourné le dos, grince Laurent Martrette. Quand je vois que certains de Provale viennent s’épancher sur son sort alors que, quand il a commencé à avoir des problèmes, c’est moi qui lui réglais ses loyers… Aux Simon, Tchalé-Watchou, Arandiga, je leur ai dit ce que je pensais : si Provale avait fait son boulot, Anthony serait toujours vivant.Sauf que dans ce milieu, quand tu ouvres ta bouche, on te jette. Il a eu le tort de témoigner dans Stade 2, ou dans le livre de Laurent Bénézech. Dans le rugby, il y a beaucoup de monde pour faire des raisonnements mais quand il s’agissait d’apporter un réel soutien il n’y avait personne… Hormis Laurent Bénézech que je tiens à saluer, et Pierrot Aylagas (ancien entraîneur des Universitaires champions du monde en 2000 et de l’ES Catalane) qui est un homme bon et qui l’a toujours soutenu. »


Le cri de douleur fait mal, celui d’un papa bien décidé à aller jusqu’au bout de son combat, au nom du fils. «Récemment, j’ai ouvert un restaurant que j’avais l’intention de lui léguer plus tard, pour assurer son avenir qui n’était pas garanti en étant invalide à 80 % et en disposant de très peu d’aides, puisque certains clubs où il a évolué n’ont jamais voulu reconnaître d’où venait son handicap. Vous savez, j’ai trois enfants. Anthony est celui avec qui j’ai été le plus dur mais j’avais une tendresse particulière pour lui. C’était quelqu’un de très religieux, très croyant. Il était très ami avec le curé de Port-Vendres, avec qui il échangeait beaucoup. J’espère que lorsqu’il reviendra sur terre, sa vie sera plus longue…» Et de reprendre, dans un soupir. «Anthony ne sera pas incinéré. Après l’autopsie, il reposera dans le caveau familial, auprès de mon père. Et mon combat sera que tous ceux qui lui ont fait du mal soient châtiés.»


Parce que la réalité est là, froide comme une pierre tombale et rappelée par Michel Peuchlestrade, entre deux anecdotes. «C’est désolant de se dire qu’on peut en arriver là, à 41 ans, et tout ça pour gagner quoi? Quelques millimètres. Anthony, c’était un bon joueur, un combattant. Mais dans le rugby, à un moment, on n’a jamais que le potentiel que l’on a. Il faut savoir l’accepter et je ne suis pas sûr que tout le monde y arrive. Il y a deux ans, j’entraînais encore les juniors d’Aurillac, et j’ai vu des évolutions physiques en cours de saison qui m’ont interpellé. J’espère juste qu’une histoire comme la sienne en fera réfléchir certains.»
Car c’était bien là le dernier combat d’Anthony Martrette, désormais prolongé par les siens: que cesse l’hypocrisie dans un milieu où les «petits pots » peuvent se fournir avec une facilité déconcertante. Ni ange, ni démon, encore moins martyr. Rien de moins que la victime consentante d’un système désormais capable de tuer ses enfants, lorsqu’ils rêvent un peu trop grand. Celle d’un rugby qui n’en ressort pas grandi.

Par Nicolas ZANARDI
nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

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