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Manhattan Rugby

Par Arnaud Beurdeley
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Publié le Mis à jour
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REPORTAGE - Vendredi soir s’est déroulé le premier match de rugby professionnel à New York. La rencontre opposait Rugby United New York à Toronto. Nous y étions. Récit.

Du haut du MCU Park de New York, la vue est imprenable. Elle projette le visiteur vers "Luna Park", vieux d’une centaine d’années avec son célèbre "Cyclone", les montagnes russes locales construites en bois en 1927. Derrière, à quelques encablures, les tours de Brighton beach, épicentre du quartier russe, se dressent face à l’Atlantique. À droite, la plage s’étire sur plus de six kilomètres et attire chaque week-end les New-Yorkais stressés, à la recherche d’une escapade furtive et apaisante. Bienvenue à Coney Island, située tout au sud de Brooklyn, un des cinq "boroughs" de la ville qui ne dort jamais. Ce bout de terre, c’est le New York iconique, celui de "Requiem for a dream", succès cinématographique du début des années 2000. Et l’histoire retiendra peut-être que c’est ici, face à la vieille Europe, que le rugby new-yorkais a disputé son premier match de l’ère professionnelle.

Rugby United New York (RUNY) a vu le jour en 2017 sous la houlette de James Kennedy, un jeune entrepreneur d’origine irlandaise. Il est l’un de ces nombreux "Irish" venu chercher fortune en Amérique à l’âge de 21 ans. Ce dingue de rugby, fan du Munster, proche de l’ancien talonneur irlandais Jerry Flannery avec qui il a étudié au St Munchin’s College de Limerick, a vu dans la création de la Major League de Rugby une opportunité de concilier sa soif d’entreprendre et sa passion du rugby. Il reçoit au siège de sa société MKG, situé en bas de la mythique avenue de Broadway, tout juste face à Wall Street. Un symbole ? Son office n’a rien d’ostentatoire. Quelques bureaux en désordre où sont disséminés des ballons de rugby et des cartons de produits dérivés siglés Runy.

Aux murs sont accrochés quelques maillots, dont celui du XV d’Irlande, "of course". "C’est plus devenu le siège de RUNY que de MKG", sourit-il. Un tee-shirt négligemment porté sur un jean tombant, l’homme est simple. Affable. Son enthousiasme lorsqu’il évoque son équipe de rugby le conduit à parler. Et encore parler, de plus en plus vite. "C’est un super projet, raconte-t-il d’emblée. Personnellement, j’aime construire. J’ai envie de laisser une trace. Dans mon métier, la construction, rien ne dure alors que là… Par exemple : si demain je construis le siège de Facebook, je serai content. Mais je sais aussi que dans quatre ans, ils changeront de lieu. Avec RUNY, on construit dans la durée."

La MLR s’est ouverte en janvier dernier avec neuf équipes, dont l’une d’elle a donc élu domicile à New York pour la première fois de l’histoire. Dans ce projet, James Kennedy a été rejoint par Pierre Arnald, connu en France pour avoir été le directeur général du Stade français, époque Thomas Savare. "Le rugby me manquait, dit-il, attablé devant un tiramisu d’un restaurant italien de la 5e avenue. Depuis plusieurs années, je suivais ce qui se passait aux États-Unis et là, j’ai senti que c’était le bon moment pour investir." Aujourd’hui, il est actionnaire et sera bientôt officiellement directeur général de la franchise. Il vit entre Nantes, où sa famille est installée, et Manhattan où il s’est porté acquéreur d’un petit immeuble de deux étages, situé au Nord-Ouest de Central Park et dans lequel il loge plusieurs joueurs. Mais ce premier match à domicile, il ne l’aurait manqué pour rien au monde.

Nous sommes des pionniers

Dans les bureaux de MKG, l’effervescence est palpable à deux jours de l’événement. Au cœur de Manhattan, beaucoup moins. N’est pas la NBA qui veut. "Nous sommes des pionniers", annonce Chris Mattina, jeune joueur de 25 ans qui a grandi dans l’Upper East side. Lui est un pur New Yorkais, passé par Xavier College situé dans le quartier de Chelsea, le premier lycée américain à avoir créé une équipe de rugby en 1976. À la veille de la rencontre, celui qui compte huit sélections à VII est sur le "Waterside Athelic Field" avec une quarantaine d’adolescents de 15 à 17 ans à distiller quelques conseils. Deux jours plus tard, Xavier College dispute un match important contre une équipe de Washington DC. "

Je les entraîne car je suis un peu comme un modèle pour eux, explique-t-il. Nous allons peut-être écrire la première page d’une longue histoire. Jouer ce premier match professionnel chez moi, à New York, c’est un rêve qui devient réalité. Et je sais que ces gamins rêvent de suivre nos traces. Ils seront une centaine pour ce match à venir nous voir." Mais combien de spectateurs au total ? Une campagne de pub, pour 50 000 $ (44 000 €), a été réalisée dans les couloirs du métro. RUNY a eu les honneurs d’un article dans les colonnes du New York Times… Mais le rugby est à "Big Apple" ce que le baseball est à Paris…

Joueur du premier match de rugby professionnel à New York

Justement, ce sont les "Brooklyn Cyclones", une équipe de baseball en ligue mineure, qui évoluent habituellement sur la pelouse synthétique du MCU Park. Le terrain de rugby n’y a donc rien d’académique. Les lignes se croisent, s’entrechoquent, les couleurs s’y mélangent. Dans l’après-midi, James English, le manager général de Rugby United New York, s’inquiète encore de certaines parties. Une des bases du terrain de baseball située dans les cinq mètres près de la ligne de touche a été recouverte tant bien que mal d’un morceau de pelouse synthétique. « Heureusement, comme c’est dans les cinq mètres, il n’y aura pas de mêlée à cet endroit », tente-il de se rassurer. Dans les structures, le rugby new yorkais a tout d’un club flirtant entre le monde amateur et professionnel, loin des standards du sport business américain.

Un exemple ? Convoqués deux heures avant le coup d’envoi, la plupart des joueurs est venue en métro, certains arrivant donc avec un léger retard, pour être restés bloqués à quelques encablures de la destination finale. Dans les vestiaires où trônent deux fauteuils et un sofa, l’Anglais James English s’efforce de mettre les joueurs dans les meilleures conditions. Des fruits, des boissons protéinées, des bonbons sont étalés sur la table de ping-pong au milieu de la pièce. Chacun a son casier avec short, chaussettes, maillots, serviette de toilette et sa photo affichée. Avec cette phrase accolée au patronyme : "Joueur du premier match de rugby professionnel à New York." À jamais dans l’histoire.

Jusque-là, RUNY n’a perdu qu’une seule rencontre. Mais le match de ce soir va bien au-delà du résultat sportif. James Kennedy et Pierre Arnald, les deux propriétaires, sont tendus. À 18 heures, les premiers spectateurs pénètrent dans l’enceinte. À la boutique, les produits dérivés sont en place, les tee-shirts se vendent bien. La sono crache sa musique pour ambiancer les quelque 2 500 personnes présentes. "L’atmosphère, le buzz, c’est super, assure James Kennedy. Presque 3 000 fans ? Je ne pouvais donc pas en demander plus."

Tous, en préambule, se sont levés pour chanter l’hymne américain. Un classique du sport US. Tout comme ils se sont levés et ont exulté lorsque, dans les arrêts de jeu et alors que RUNY était mené 21-17, John Quill a inscrit l’essai de la victoire (24-21). Le véritable "happy end" à l’américaine. "C’était énorme de sentir le public nous soutenir, a raconté dans le vestiaire l’ailier Chris Mattina. On était un peu nerveux en raison de l’enjeu historique et parce qu’on n’avait jamais joué à New York. Franchement, mon cœur a failli lâcher." Et cet enfant de Manhattan de conclure : "C’est le scénario idéal pour le début d’une belle et longue histoire."

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