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Louis est parti

Par Léo Faure
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Publié le Mis à jour
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Après un plaquage destructeur bien que réglementaire, Louis Fajfrowski est d’abord resté au sol de longues minutes. Avant de se relever. Il a finalement succombé à trois arrêts cardiaques, dans les vestiaires.

Il est un peu plus de 18 h 30, ce vendredi. Il fait beau et chaud sur la cité cantalienne. Le Stade aurillacois a aligné une équipe rajeunie face à Rodez, club de Fédérale 1, histoire de faire jouer ceux qui n’ont pas été retenus la veille (victoire face à l’UBB 22-20), accompagnés des jeunes pousses du centre de formation. Revue d’effectif en perspective, match d’été ouvert et plaisant à suivre. Un bel après-midi de rugby, en somme.

Aux affaires la veille, pour la rencontre amicale face à Bordeaux-Bègles, le staff du groupe professionnel aurillacois est également présent, en tribunes. "J’étais là en spectateur un peu particulier, avec l’œil de l’entraîneur qui observe les performances des jeunes proches du groupe professionnel" raconte Maxime Petitjean, qui a intégré cet été l’encadrement de son club de toujours. Depuis 17 h 30 et le coup d’envoi, on assiste d’ailleurs à une rencontre très correcte. Du jeu, beaucoup. Deux ou trois moments chauds, mais rien d’extravagant. Rien, en tout cas, de comparable à ce qu’on peut constater sur les rencontres de Top 14 ou de Pro D2, toute la saison. Des jeunes qui jouent, qui s’amusent. Après la pause, le Stade aurillacois mène 21-7 et gère plutôt bien son match, même si la rigueur manque par instants.

Un plaquage rugueux mais légal

50e minute : lancer en touche pour Rodez, sur les 22 mètres aurillacois. Le ballon, cafouillé, retombe chez les locaux. Relance immédiate. Une passe, puis une deuxième vers Louis Fajfrowski qui s’empare du ballon. Et, presque immédiatement, il prend un énorme tampon. Une clameur, de ces "Wouhhhh" qui résonnent dans les stades sur les chocs destructeurs, s’élève de la tribune garnie de la jeunesse cantalienne. Les copains, les copines, les familles, les joueurs de la veille sont là. Sur l’action, les Ruthénois récupèrent le ballon abandonné au contact et filent à l’essai, en contre.

Assis en tribunes, Latuka Maïtuku et Kevin Savea, troisième ligne et talonneur du Stade, ont assisté à la scène. Leur analyse ? Rien de condamnable, sur l’action. "Le plaquage était régulier. Dans le mouvement, sec. Dur, même. Mais rien de répréhensible, effectivement. Le genre d’impact qu’on voit tous les week-ends, en Top 14 et en Pro D2" se souviendra Maxime Petitjean, le lendemain. "Le joueur d’Aurillac a hérité du ballon avec peu de vitesse. Le troisième ligne de Rodez, lui, arrivait à pleine vitesse. Il l’a plaqué au niveau de la zone poitrine-sternum, confirme Jérémy Rozier, arbitre de cette rencontre. Avec l’écart de vitesse, c’était impressionnant. L’impact a fait un gros bruit, mais il n’y avait rien de répréhensible. Le défenseur touche la bonne zone et encercle avec les bras. Des plaquages comme ça, j’en vois tous les week-ends. Même au 7, que j’arbitre souvent."

Louis Fajfrowski a pourtant bien du mal à se remettre du choc. Un genou à terre, puis deux. Le staff médical d’Aurillac entre sur la pelouse. Autour du jeune joueur de 21 ans, le docteur Claisse et un kiné du club s’affairent. Puis André Bester, l’entraîneur des avants du Stade, et le docteur Grenaille, présent en spectateur et bientôt convoqué à son tour, sur la pelouse. Les gesticulations se multiplient. "Quand j’arrive, il y a déjà beaucoup de soutien médical autour du joueur. Il a les yeux révulsés et les mâchoires serrées, poursuit Jérémy Rozier. La priorité des médecins est de lui faire desserrer les mâchoires, pour ne pas qu’il avale sa langue. Assez vite, il se décontracte sur cet aspect mais il reste inconscient. Sa perte de connaissance dure finalement 1 minute et 30 secondes, environ. Puis il revient à lui." Alors qu’il était allongé, Louis Fajfrowski commence par s’asseoir. Il répond visiblement aux questions qu’on lui pose. Cependant, il ne semble pas encore assez solide pour sortir seul. Entouré de deux personnes, il prend appui sur eux pour quitter le terrain et céder sa place.

Lescure : Max, ça ne sent pas bon. Il est en arrêt cardiaque

La scène aura été longue. Trois, quatre, cinq, dix minutes ? "Sept à huit minutes" tranche Jérémy Rozier. Sur le chemin de la sortie, Louis Fajfrowski rassure son monde. Il a retrouvé le sourire. Il plaisante même avec son remplaçant, puis avec les personnes du bord de touche. Le jeu repart, le sport reprend ses droits et la jeunesse aurillacoise l’emporte finalement 29-26, contre le pensionnaire de Fédérale 1.

Un air de fête s’installe alors. L’ensemble des joueurs se réunit sur la pelouse, tandis que le public quitte tranquillement les lieux. Sur le chemin de la sortie, toutefois, en bas des escaliers, deux véhicules du Samu sont arrivés et stationnent, portes grandes ouvertes. Personne à l’intérieur. Dans les vestiaires, l’affolement est tout autre. Pendant les dix dernières minutes de la rencontre, Louis Fajfrowski a déjà connu deux malaises cardiaques, là où lui et ses coéquipiers s’étaient changés. Avant d’être réanimé. "J’ai quitté le stade dix minutes avant le coup de sifflet final, se souvient Petitjean. Je suis parti avec ma femme et ma fille et, effectivement, en sortant, j’ai croisé les secours. Je me suis arrêté pour les questionner sur leur présence. Ils m’ont répondu qu’ils étaient là pour un malaise. J’ai poursuivi mon chemin." Un quart d’heure plus tard, l’ancien ouvreur du Stade aurillacois reçoit un appel de son ancien partenaire Mathieu Lescure, passé comme lui dans le staff technique cette année : "Max, ça ne sent pas bon. Il est en arrêt cardiaque." Jérémy Rozier poursuit : "Au coup de sifflet final, alors que tout le monde rigolait sur le terrain, je suis rentré aux vestiaires. Là, j’ai tout de suite compris qu’il y avait un problème. Le joueur était à l’infirmerie avec les pompiers. Il subissait un troisième arrêt cardiaque. Et les pompiers me paraissaient très inquiets. Assez vite, l’un d’eux m’a confié qu’ils n’arrivaient plus à le faire revenir, qu’ils n’étaient pas très confiants sur l’issue. Je suis rentré dans mon vestiaire, en attendant une bonne nouvelle. Elle n’est jamais venue." À 20 heures, le vendredi 10 août 2018 et après un troisième malaise cardiaque, Louis Fajfrowski décède. Un club s’écroule. Un sport avec lui.

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