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Le Stade Français ressuscité

Par Jérôme Prévot
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Il y a vingt ans, le Stade Français revenait sur le devant de la scène à la surprise générale. Jamais un promu n’avait été sacré dans la foulée de sa montée. Aux manettes, Bernard Laporte. En première ligne, les trois grognards Simon-Moscato-Gimbert. Au scénario, un président venu d’un autre monde.

20 h 28, Docteur Simon vaccine au frisson. Allez savoir pourquoi, ce titre du Midi Olympique nous avait marqués sur le moment. Sans doute parce qu’il nous amenait dans l’intimité d’une nouvelle équipe, un champion surgi de presque nulle part. Un vieux club parisien ressuscité, promu et sacré la même année : exploit inédit. On y décrivait les derniers moments des joueurs du Stade français, un club neuf, dans les vestiaires d’une enceinte totalement nouvelle, le Stade de France, de Saint-Denis. Jamais le Bouclier de Brennus n’y avait encore été remis. Mais la formule du célèbre film « Le Guépard » nous est aussi revenu en mémoire. Le sacre du Stade français l’applique à la perfection : « Il faut que tout change pour que rien ne change. »

En repensant à ce moment, nous voyons revenir à la surface ce quatuor de durs à cuire, quatre « gueules » devenues célèbres sept ans auparavant avec Bègles : Laporte, le cornac devenu coach et la première ligne Simon-Moscato-Gimbert. En 1991, ils débordaient déjà du cadre et l’on pressentait que leur carrière ne serait pas un fleuve tranquille. Le septennat qui suivit ne nous avait pas déçus de ce point de vue. Les quatre grognards durs à gérer, que beaucoup de présidents ne voulaient plus recruter, se retrouvaient en pleine lumière après plein de péripéties. « C’est sûr que l’expérience était très spéciale. Ça n’avait plus rien à voir avec le titre de Bègles. Mais nous n’avions pas d’esprit de revanche, nous étions bien au-dessus de ça. Nous avions plus de trente ans, le rugby était en train de changer, c’était la fin de l’amateurisme et nous avions la tête ailleurs, on pensait à ce que nous ferions dans la foulée… » explique Vincent Moscato, capitaine de la soirée.

Un président tombé de la planète Mars

Le Stade français et son étiquette ultra BCBG avait connu la première finale de l’Histoire au milieu du bois de Boulogne en 1892. 106 ans dans un stade gigantesque de la banlieue nord, il inventait presque un nouveau sport sous l’autorité d’un patron tombé de la planète Mars. Max Guazzini fut à notre avis le premier président aussi médiatisé que ses joueurs. Avec le recul, nous ne lui voyons qu’un seul équivalent : le légendaire Félix Mayol, sans qui Toulon ne serait pas Toulon. Ce club, Max l’avait reconstruit de ses propres mains à coups de coups médiatiques (rencontre avec Madonna ou Naomi Campbell, robe de Dalida, gratuité des places pour les femmes). « C’était aussi pour ça que c’était nouveau. Max Guazzini était si atypique, si créatif, c’était un artiste, » reprend Moscato. On a beaucoup dit que Guazzini avait fait entrer le rugby dans une nouvelle ère. C’est certain, mais c’est aussi ambigu. Quand on parle avec les joueurs de cette époque, on saisit l’ambivalence du personnage, un homme de paillettes certes, mais aussi le promoteur du « vrai » professionnalisme. Pas celui de l’habillage médiatique, mais celui de la pratique quotidienne, on l’oublie trop souvent. Christophe Laussucq, demi de mêlée de ce commando en a pris conscience : « Je crois que nous étions la première équipe cent pour cent professionnelle. La grande nouveauté du moment, c’était le fait de s’entraîner deux fois par jour. Matin et après-midi. Nos adversaires s’entraînaient encore le soir et chez eux, les séances de musculation étaient facultatives. Nous avions une longueur d’avance. »

Une préparation en avance

Max Guazzini avait ce talent-là, un metteur en scène de comédie musicale qui fait oublier le travail acharné des coulisses par ses flonflons un rien tape à l’œil. « Nous avions déjà des préparateurs physiques et des kinés. En fait, on travaillait beaucoup. » confirme Moscato.

« Notre préparation physique a fait la différence. Économiquement, Max nous a donné l’accès aux structures dont nous avions besoin, même si nous tournions beaucoup entre Jean-Bouin, l’Aquaboulevard ou Géo-André, et peut-être Meudon, je n’en suis plus sûr » ajoute Christophe Laussucq. Le demi de mêlée ne garde pourtant pas un souvenir euphorique de cette saison historique : « Non, tout n’avait pas été rose. Nous avions été très moyens par moments. Personne ne surnageait. »

En fait, le sacre du Stade français balaya les grands discours sur la cohésion et les équipes qui se mûrissent avec une solide ossature. « J’étais là depuis trois ans et j’étais le plus ancien. Chez les trois quarts, il n’y avait que des nouveaux. Les anciens Béglais et le cinq de devant n’étaient là depuis deux saisons… » Le jeune entraîneur Bernard Laporte n’avait pas hésité à trancher dans le vif après la finale du groupe A2 de 1997. Il avait une idée claire de qui avait le niveau et qui ne l’aurait pas. Les coulisses de la belle aventure étaient sans pitié. Il faut en avoir conscience. Laussucq poursuit : « Cette année-là, nous nous sommes révélés à nous-même en demi-finale. À l’époque, tout le monde ne se rencontrait pas durant la saison. Nous avions découvert Toulouse sans aucun repère. Pour nous, c’était déjà un aboutissement d’être là. Et nous leur avons mis 39-3. Ensuite, nous avons été aspirés par une semaine qui est passée très vite. Mais on savait que Perpignan était à notre portée. Notre préparation en avance sur les autres avait porté ses fruits. Dans les dernières semaines, nous avons littéralement explosé. » Comme les autres Parisiens, il ne s’en était pas vraiment rendu compte. Pourtant, Max Guazzini ne pouvait pas (encore) s’occuper de tout. Le Stade français avait encore trop peu de supporters. Les Catalans étaient en énorme supériorité dans les tribunes. Mais ça n’eut pas une grande incidence. La finale fut une promenade : 34 à 7, Laussucq y fut décisif sur le coup d’envoi de la deuxième période : coup de pied à suivre du gauche petit côté pour son ailier Bolo-Bolo. Un ballon qui roule à la perfection pour tomber dans les bras du Fidjien au moment idoine. Comme le titre de « Midol », l’image nous est restée en mémoire, rien n’aurait pu contrarier la trajectoire de l’astéroïde stadiste en ce 16 mai. C’était une loi quasi-physique, comme celle qui régit le passage de la comète de Haley. Sur le bord de la touche, Laporte put se laisser aller à une frénétique danse de Saint-Guy. Son destin bascula ce jour-là.

À l’assaut du milieu de terrain

Au fait, quel jeu le futur patron du XV de France faisait-il pratiquer à ses hommes ? Christophe Laussucq devenu à son tour un technicien garde un souvenir précis. Laporte, à 33 ans, ce n’était déjà pas qu’un aboyeur : « J’ai le souvenir qu’on pratiquait un jeu direct. On cherchait la prise du milieu de terrain. On avait déjà des costauds derrière avec Mytton, Bolo-Bolo, Gomez, des mecs à plus de cent kilos. Même s’il y avait aussi quatre nains, Comba, Dominguez, Dominici et moi-même. C’était une période de transition, la fin de l’ère des profs de gym, et l’idéologie du « Globalou ». On entendait qu’en équipe de France, on disait que ça ne fonctionnait pas trop. Bernard organisait les prémices de la théorie des blocs, nous avions déjà des temps de jeu préétablis. »

Une nouvelle génération de techniciens apportait ses vues. On parlerait bientôt de « conservation », de temps de jeu programmés avec replacement et circulation des joueurs. Mais, justement, il fallait que tout change pour que rien ne change, et même à la veille de cette révolution les avant-matchs restaient des avants matchs. Philippe Oustric, envoyé spécial de Midi Olympique, réussit à saisir ces instants magiques dans les vestiaires du Stade de France qui sentaient la peinture fraîche. Laporte qui réunit ses avants dans les douches et qui se met à genoux (!!!) au milieu d’eux : « Dehors, il y a 40 000 Catalans déchaînés. Je veux que dans dix minutes, il règne un silence de cathédrale. Que ça devienne notre stade ! » Il était 20 h 27 !

Simon aux accents gaulliens

Le plus incroyable, c’est que les faits allaient lui obéir. Dix minutes de domination perpignanaise puis une pénalité manquée par leur ouvreur. L’ambiance qui se plombe et le Stade français qui prend la main pour ne plus la quitter. C’est à 20 h 28 que le docteur Simon prit la parole pour la première fois ; Lui, qui ne s’exprimait pas souvent avant les coups d’envoi. Mais Moscato, au paroxysme de la concentration préférait le silence : « À partir de maintenant, c’est une affaire d’hommes ! Je ne reviendrai pas dans ce vestiaire si je perds » tonna Serge Simon avant un silence pesant. 20 h 36, Laporte ouvre… la porte. Instinctivement, les avants se lient pour entrer en grappe et faire corps face à l’adversité. Les Béglais procédaient ainsi en 91. Puis, le Docteur Simon décide de tester d’illico un nouveau traitement : « Les gars, on se sépare. On rentre au pas pour montrer qu’à partir de maintenant, nous sommes les plus forts. » Les Parisiens pénètrent donc sur la pelouse comme une sévère phalange spartiate sans un regard pour les Catalans. 80 minutes après, le doc’ constatera les effets de sa médication. Au micro, il prendra alors des accents gaulliens sous les sifflets des fans de l’Usap : « Paris encerclé ! Paris assiégé ! Paris libéré ! »

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