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« Dès qu’il y a une tête de gondole, on la dézingue »

Par Arnaud Beurdeley
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    « Dès qu’il y a une tête de gondole, on la dézingue »
Publié le Mis à jour
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Pascal Irastorza - Président de Laminak Conseil, société spécialisée en gestion de crise et de l’image associé à la «chabalmania» dont il a été l’un des architectes, il porte un regard critique sur la situation du rugby français.

Quel regard portez-vous actuellement sur l’image du rugby français ?
L’image est assez simple : le Top 14 a totalement phagocyté l’exposition du rugby en France. Le monde du rugby ne vit plus uniquement, comme par le passé, pour les rencontres du Tournoi des 6 Nations. L’amateur de rugby a la possibilité de voir toutes les semaines des joueurs extraordinaires qui peuvent le faire rêver. Et ça, c’est un vrai problème pour l’exposition de l’équipe de France. Ça signifie que le XV de France n’est plus dominant. Par le passé, celui qui voulait voir du rugby, il devait en passer par les matchs du XV de France et les phases finales du championnat.

Le poids des résultats de l’équipe de France pèse-t-il lourd dans le désamour actuel ?
Ça va de pair. Si l’équipe de France avait des résultats extraordinaires, ce serait forcément plus facile de remplir les stades et de séduire. Mais ce n’est pas complètement vrai non plus, car cela fait déjà un moment que le grand public se désintéresse de l’équipe de France et qu’on rame à vendre les matchs des Bleus. La raison, c’est l’énorme travail réalisé par les clubs pour populariser leur produit pendant que le XV de France et la FFR dorment dans leur coin.

En quoi le poids des différentes affaires survenues ces derniers mois pèse-t-il également ?
Ça, je n’y crois pas du tout. Que ce soit en politique ou en sport, le poids des affaires ne pèse rien. Les affaires ont un poids sur l’image du sport, des dirigeants, mais en aucun cas, ça ne pèse sur l’affection ou la désaffection. Des présidents de la république n’ont-ils pas été élus malgré des affaires ou suspicion d’affaires ? C’est symptomatique. Les affaires qui touchent le rugby ne font simplement que renforcer l’idée que l’équipe de France n’est plus intéressante. Mais, ce n’est pas l’élément déclenchant. Les raisons principales, c’est l’omniprésence du Top 14, ce sont les résultats décevants et c’est l’absence de star. Justement, pourquoi le rugby français ne parvient pas à faire éclore des stars ? Il faudrait d’abord que la Fédération française de rugby arrête de vendre uniquement le Tournoi des 6 Nations au profit d’un petit nombre, avec un fonctionnement clanique. Un fonctionnement traditionnel, qui ne tient pas à la nouvelle gouvernance. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de tête de gondole. À trop vendre le collectif, on tue les individus. Dès qu’il y a une tête de gondole, on la dézingue car la FFR et ses traditionnelles valeurs n’acceptent pas que le rugby soit autre chose qu’un sport collectif.

N’y a-t-il pas d’autres raisons ?
Il y a évidemment, aussi, des raisons sportives. Personne ne s’installe dans la durée. Il y a trop de « turnover » en équipe de France. Un exemple, c’est celui de Jules Plisson. Il avait la gueule d’ange, un poste qui va bien pour être vu même des béotiens, s’exprimait bien, faisait des études. Seulement, au premier mauvais match, on lui a mis des clous dans les mains. Aurait-il duré ? Était-il le bon ? Je n’en sais rien. Mais, il avait le profil.

Qui peut être le nouveau Chabal ?
Mathieu Bastareaud a toutes les qualités pour endosser ce costume. Aujourd’hui, c’est un grand garçon, au cuir tanné pour en avoir pris plein la gueule, qui accepte le poids de la notoriété parce qu’il a été se refaire une santé à Toulon. Là-bas, il a longtemps été dans l’ombre des stars et ça lui allait bien. Il s’est mis dans le rôle du petit frère et a laissé le phénomène se faire un peu tout seul, comme Sébastien Chabal. Actuellement, il est celui qui a le plus de potentiel pour devenir une icône.

Quel rapport les marques ont aujourd’hui avec le rugby et les valeurs qu’on essaie de leur vendre ?
On est revenu une quinzaine d’années en arrière. Ceux qui sont là depuis toujours, les partenaires traditionnels du rugby, sont toujours là. Ceux qui peuvent y venir de temps en temps, parce que le rugby n’est pas cher, continue à saisir les opportunités, mais ce sont des acteurs de deuxième ou de troisième rang sur le plan économique.

Les marques de deuxième ou troisième rang sont-elles encore aujourd’hui intéressées malgré le poids des affaires ?
Oui, je n’en doute pas. Certes, le rugby est en crise. Mais par-delà ce que l’on peut penser de la gouvernance de la FFR et de l’image que véhiculent ses dirigeants, il y a encore des marques qui peuvent ponctuellement s’intéresser au rugby. Seulement, je sais que certains partenaires traditionnels du rugby commencent à réfléchir pour aller voir ailleurs. Ce n’est pas un très bon signe. Mais, ces partenaires-là seront remplacés car l’exposition du rugby est intéressante pour peu d’argent.

Alors pourquoi seul Altrad s’est positionné pour figurer sur le maillot du XV de France ?
Parce qu’il n’y a pas en France la culture du sponsor-maillot dans le rugby. Et parce que l’affichage est trop restreint : entre dix et douze matchs par an. Tout simplement. Sans même évoquer l’absence de tête de gondole sur lesquelles communiquer. Aucun joueur actuel n’a le pouvoir d’être reconnu aujourd’hui dans la rue. Pour une marque, c’est rédhibitoire. C’est aussi pour ça que Mathieu Bastareaud peut être cette tête de gondole. Il a une gueule et ne passe pas inaperçu.

Comment redorer l’image de l’équipe de France et reconquérir le public ?
D’abord, il faut arrêter de se regarder le nombril et travailler. La FFR finira bien un jour par se poser la question de la valeur réelle du XV de France et comment elle doit travailler dans ses temps faibles. Depuis maintenant trop longtemps, on ne mise que sur la Coupe du monde. Le produit phare du rugby français, c’est le Tournoi des 6Nations. Arrêtons de le dévaloriser en affirmant qu’on doit préparer la Coupe du monde. C’est du suicide. En faisant ça, on tue le produit. Et le désamour du rugby français aujourd’hui, c’est peut-être tout simplement lié à cette Coupe du monde.

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