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Libérez les joueurs !

Par Jacques Verdier
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Epiphénomène dans le grand chantier des aberrations actuelles ? C’est à voir. L’assistanat dans lequel on tient nos joueurs, me semble, au contraire, extrêmement pernicieux

Longtemps le rugby leur a appartenu. Ils en étaient les maîtres, en disposaient au gré de leurs envies, passions, culture. Ils n’en sont plus, désormais, que les robots mobiles au service d’une intelligence venue des vestiaires. Les raisons de ce changement de paradigme ? La justification, par les coachs, de leurs propres attributions. Avec, en toile de fond, ce discours désormais admis selon lequel les jeunes joueurs seraient obnubilés par leur image, tournés vers les médias et les réseaux sociaux, narcissiques à souhait, immatures, incultes, individualistes, et finalement très puérils. Moyennant quoi leurs entraîneurs, qui ne cessent de se plaindre en catimini de l’évolution des mentalités et de la perte de tout sens collectif, découpent le jeu en tranches à l’usage de leurs garnements, les sommant de ne jamais déroger aux grands principes, les menaçant à la moindre incartade, les infantilisant jusqu’à leur souffler les propos d’après-match en conférence de presse et s’éberluent, ce qui est un comble, d’une si niaise docilité.

Les quelques jeunes joueurs qu’il m’a été récemment donné d’approcher ne m’ont pas du tout laissé cette image. Je ne jurerai pas qu’ils soient tous en mesure d’entrer à Sciences-Po (et je déplore chemin faisant la fin des rugbymen universitaires) mais je les trouve aussi drôles, insouciants, rieurs que leurs aînés. Pourquoi seraient-ils plus cons ? Ils répondent simplement à l’attente que l’on a d’eux. On les veut obéissants, sans révolte, appliqués, gendres parfaits, ils en deviennent inodores, incolores et sans saveur. Mais qui oserait sérieusement le leur reprocher ?

A l’opposé d’un mode de management conformiste, sinon paternaliste, tel qu’il continue souvent de se pratiquer en France, il semblerait que dans beaucoup d’autres pays ces méthodes soient devenues caduques. Au Leinster, on sait que Stuart Lancaster demande à ses joueurs de définir des règles de vie et de jeu dont ils se doivent eux-mêmes d’être comptables tout au long de la saison. Procédé très couru en Nouvelle-Zélande, où la majorité des provinces agit de même dans le but de responsabiliser les joueurs et de leur rappeler cette évidence selon laquelle le jeu leur appartient.

Je force bien sûr le trait, mais quel coach, en France, accepterait de s’effacer derrière ses joueurs jusqu’à n’être plus qu’un relais, un maillon, une sorte de délégataire ? Et, partant, leur laisserait toute la place médiatique, toute la lumière ? On en est loin, il me semble. Ecoutez plutôt les propos d’après défaite : « On est sortis du projet de jeu (…) On n’a pas respecté les consignes.» Moyennant quoi, terrorisés, attentistes, les joueurs n’osent plus prendre la moindre initiative, se cachent derrière les « consignes » et, comble de malheur, s’en trouvent apaisés.

Je crois que le rugby français gagnerait beaucoup à sortir de ce type de management pyramidal où l’autorité finit par se confondre avec l’autoritarisme, où toute délégation apparaît comme une faiblesse, où la seule réflexion doit émaner du chef. Il se pourrait bien qu’une part du salut passe, chez nous, par la responsabilisation des joueurs et un ravigotant appel à l’insolence.

PS : un immense merci à tous ces lecteurs qui m’ont manifesté leur sympathie, la semaine dernière, à propos de mon départ. J’y ai été infiniment sensible. Mais si j’abandonne la direction de ce journal, je devrais néanmoins continuer à écrire un peu, via les « rencontres » et en rejoignant le gang des chroniqueurs. L’écriture, en somme, sans les emmerdes quotidiennes…

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