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C’était le Parc

Par Jérôme Prévot
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Publié le Mis à jour
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ll y a vingt ans en 1997, le XV de France abandonnait le parc des princes sur une triste défaite face aux Springboks. Mais c’est bien là que les bleus ont vécu leurs moments les plus chauds, grâce à leurs résultats et à l’ambiance unique de l’enceinte de la porte de saint-cloud, question d ‘acoustique.

Évidemment, tout s’est terminé par une très mauvaise expérience, le 22 novembre 1997. Un terrible 52-10 encaissé face aux Springboks de Nick Mallett, le XV de France a quitté le Parc des Princes sur une note amère : sept essais encaissés et une fin de carrière sans gloire pour quelques grands noms : Philippe Saint-André, Laurent Cabannes, Olivier Merle, Thierry Lacroix. Les Springboks commandés par le numéro 8 Gary Teichmann étaient vraiment très forts à cette époque, c’est entendu. Mais on apprit par la suite que leur médecin avait sorti de sa sacoche une liasse d’ordonnances… providentielles qui permettait entre autres l’usage de la ventoline… La déroute provoqua les lazzi du public qui scanda : « Zéro, zéro, zéro… » sur l’air de « Ce n’est qu’un au revoir… ». C’est à travers ce triste chant que nous avons pu mesurer une dernière fois le son exceptionnel offerte par le Parc des Princes, le fief du XV de France depuis près de 25 ans. Mais une simple défaite, fut-elle cruelle, ne pouvait pas effacer un quart de siècle d’histoire. Car si le XV de France a pu compter sur un vrai foyer, avec la chaleur qui va avec, c’est bien dans cette arène de pur béton, édifiée en trois ans dans les quartiers les plus chics de Paris. La jonction s’est faite en 1973, elle ramena les Bleus dans Paris intra-muros après cinquante ans passés en banlieue à Colombes. « J’ai tout de suite été séduit par cette nouvelle ambiance. On pouvait se rendre au stade d’un petit coup de métro et il y avait plein de petits bistrots autour. Il faut se souvenir qu’à Colombes on essayait de s’entasser dans une minuscule buvette… » se souvient le grand reporter Denis Lalanne. “Colombes avait son charme avec les vestiaires chargés de lierre, et le voyage en train qui nous y conduisait. C’était un must, mais le stade lui-même était ouvert aux quatre vents et on n’y voyait pas très bien....” confie Henri Nayrou, ex-rédacteur en chef du Midi-Olympique.

Une bonbonnière, symbole de modernité

Pour son premier match contre l’Ecosse par une température polaire, le XV de France fut servi par le sort. Il eut droit à un arbitre maison au bout de treize minutes quand Francis Palmade remplaça l’Anglais Pattinson, claqué à un mollet. Le capitaine écossais Peter Brown tenta d’emblée de l’intimider en le fusillant du regard, sans vrai succès, ce qui fit dire plus tard à l’arrière Andy Irvine : « J’ai eu la chance de jouer ce premier match, il m’avait paru si moderne, si impressionnant. J’ai eu tout de suite l’impression qu’ici les Français paraissaient dans leur jardin, en quelque sorte protégés par le Dieu du Parc. Avec ce doigt de chance qui, contre nous, devait toujours les accompagner… » Les Français clairement secoués devant firent ce jour-là la décision par leurs attaquants inspirés (Lux, Dourthe, Trillo, Bourgarel, Cantoni). C’est vrai qu’ architecturalement, le nouveau Parc des Princes était en avance sur son temps, il ressemblait à un vaisseau sorti d’un film de Science-fiction de Stanley Kubrick ou d’une BD de Druillet. Henri Nayrou dégaine une autre métaphore : “Ce stade c’était surtout une bonbonnière et il a plu tout de suite aux joueurs à cause de sa caisse de résonance...” Il incarnait alors la modernité triomphante, jusque dans la teinte de ses sièges, oranges, le ton psychédélique des années soixante-dix quand Georges Pompidou, féru d’art moderne et d’automobile siégeait à l’Elysée. Ça tombait bien, le nouveau Parc des Princes surplombait le périphérique, inauguré quasiment en même temps que lui. Le stade et la ceinture routière de Paris incarnaient bien le dernier souffle des trente glorieuses, la France d’avant le choc pétrolier qui s’étourdissait pour quelques mois encore de la foi aveugle dans le progrès technique et de la consommation. Denis Lalanne ajoute : « N’oubliez pas que l’ouverture du Parc a aussi permis la tenue de grands matchs en nocturne, chose inimaginable avant. On se mit à jouer à une heure où tout rugbyman se devait d’être au bar », écrivit un confrère britannique.

Proximité avec les spectateurs

Un an après l’inauguration, la France s’enfonça dans une crise dont elle n’est toujours pas sortie avec son chômage de masse. Mais le XV de France, réussit à son échelle à prolonger la période de croissance. Jamais il ne fut davantage craint que sur cette pelouse : les All Blacks y ont perdu en 1973, les Bleus y ont glané quatre grands chelems. « C’était le stade idéal. Un vrai stade de rugby comme on en trouve en Angleterre avec des tribunes proches du terrain et des spectateurs qui pouvaient facilement peser sur le match, c’était le seizième homme.» synthétisa en 1997 Walter Spanghéro, le capitaine qui ferma Colombes avant d’ouvrir le Parc des Princes. Les stades construits jusqu’alors étaient pensés pour accueillir le maximum de spectateurs, ils étaient fonctionnels, mais spartiates, surtout pour les joueurs. Avec le Parc, apparaissait une notion de confort, presque de luxe : « Bien sûr, qu’il incarnait la modernité, déjà par ces vestiaires spacieux, sa salle d’échauffement. Ma génération n’avait jamais vu ça… » se souvient Jo Maso avant d’ajouter : « Mais ce qui m’a le plus marqué, c’est le murmure. On l’entendait dès la sortie des vestiaires puis on le prenait en pleine gueule en pénétrant sur la pelouse. Tous les joueurs parlaient de ça. Il n’y a qu’à l’Arms Park de Cardiff que j’éprouvais la même sensation. Aujourd’hui, quand je regarde des matchs de foot, je me dis que les joueurs du PSG doivent se régaler. » Jean-Pierre Garuet y fut expulsé en 1984 et ne cacha pas sa tristesse en 1997 : « Je me souviens du formidable soutien du public à ma sortie, un sentiment unique. C’est vrai qu’il existe des beaux stades à travers le monde, mais le Parc avait une saveur particulière. Il y existait une véritable communication entre les joueurs et le public. Je me souviens qu’il était même difficile d’entendre les annonces de tactiques… On en venait à s’expliquer avec des gestes. »

Une ellipse qui absorbait les sons

Au milieu de tous ces immeubles bourgeois, la France du rugby avait enfin trouvé sa petite fournaise. Car la nouvelle enceinte abattit tout de suite son atout maître : son acoustique : « Le plan était basé sur le principe de l’ellipse comme le faisaient déjà les Grecs et les Romains. Cette forme génératrice a la propriété de renvoyer les sons. C’est ce qui explique son ambiance particulière, très différente de celle du Stade de France par exemple, un stade de courant d’airs » explique Roger Taillibert, l’architecte du lieu, 91 ans. Dans la foulée des Jeux Olympiques de Grenoble, le général De Gaulle lui avait confié le projet avec quelques idées directrices, surtout pas de piste d’athlétisme, un bon éclairage, la sécurité pour les spectateurs et surtout : « Une vue dégagée pour tout le monde sans obstacles. Avec un brevet français, j’ai utilisé la technique de la précontrainte croisée. Ça m’a permis de réduire la quantité de béton nécessaire et d’éviter d’utiliser de l’acier et des poteaux verticaux. » Roger Taillibert y gagna une réputation mondiale, il enchaîna avec le Stade Olympique de Montréal et le premier stade d’Abou Dhabi. Mais il revint souvent dans les travées de son chef-d’œuvre : « Plus particulièrement quand le Castres Olympique y a joué. J’étais très ami avec Pierre Fabre. » Ce stade fut aussi immédiatement par le championnat qui en fit le théâtre permanent de sa finale, jusqu’ici ballottée entre plusieurs enceintes de province. Il devint le Graal des équipes ambitieuses, le vrai tabernacle du Bouclier de Brennus. Les finales nationales drainaient un public plus populaire que celui du Tournoi, Béziers n’avait pas son pareil pour l’annexer et le couvrir de rouge et bleu. Les Héraultais furent les seuls à déborder des tribunes en plein match, en 1983 contre Nice pour assister aux dernières actions les pieds au bord de la ligne de touche, comme des cerbères ambigus. Le Parc des Princes souffrait de sa contenance limitée, 48 000 places, les places pour le Tournoi s’arrachaient à prix d’or ou via des réseaux privilégiés. Les tests de novembre furent longtemps moins courus, question de tradition. Le public y était plus acteur et plus acharné qu’à Colombes, mais aussi un peu moins bon enfant et carrément exigeant : « C’est au Parc que j’ai vu pour la première fois le public siffler un buteur défaillant, Jean-Michel Aguirre je pense. » On ne peut évidemment citer tous les moments forts du rugby au Parc des Princes : le match étincelant de Max Barrau contre les Blacks en 1973, l’essai à 23 passes de Philippe Sella (Irlande, 86) : “Pour moi, ce mouvement de plus d’une minute fut la plus belle des communions entre le public et les joueurs...”. se remémore Henri Nayrou. “La terrible tension du France-Galles 1977 fut aussi très marquante.” C’était l’ouverure, mais le Grand Chelem se joua là et Harize marqua en coin d’un plongeon d’école. Hélas, le public y massacra la Marseillaise : “Une vraie pagaille” s’esclama Roger Couderc.

Les vrais adieux lors du France - Ecosse de 1997

Mais une chose est sûre, les Bleus stupéfaits méritaient mieux qu’une fessée face à des Boks stupéfiants pour leurs adieux. Le vrai pot d’adieu eut lieu le 15 mars précédent pour la der du Tournoi ponctuée par le premier Grand Chelem fini à domicile face à l’Ecosse : 47 à 20 sous le commandement d’Abdelatif Benazzi avec un ultime essai signé Olivier Magne à cinq minutes du coup de sifflet final. Et là, le fluide des joueurs euphoriques remonta immédiatement dans les gradins pour une Marseillaise grandiose et interminable : « Dès que j’ai aplati, j’ai regardé en direction du juge de touche de peur qu’il n’accorde pas l’essai. Alors la folie s’est emparée de moi. L’explosion totale, j’entendais cette Marsellaise chantée par tout le public. J’ai vécu les cinq dernières minutes comme une apothéose. » L’ailier David Venditti s’avoua submergé par oraison populaire : « Je me suis carrément arrêté de jouer pour ne pas perdre une miette de ces instants magiques. » C’est peut-être ce jour-là, plus qu’en 1995, on a dit adieu à un certain rugby, à une certaine époque. Au nord de Paris, à Saint-Denis, un édifice énorme sortait de terre. Le Stade de France avait été conçu pour abriter la Coupe du Monde de foot, mais il fallait le rentabiliser. L’État imposa aussi aux rugbymen de s’y installer en payant un loyer écrasant et en supportant une piste d’athlétisme, une régression quand on y repense. Bernard Lapasset, boss de la FFR, ne put rien faire. Les enjeux étaient trop colossaux…

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