Abonnés

"Dis papa, c'est quoi un derby ?"

Par midi olympique
  • "Dis papa, c'est quoi un derby ?"
    "Dis papa, c'est quoi un derby ?"
Publié le Mis à jour
Partager :

Laurent Travini n'est pas landais de naissance mais il a joué six saisons à Dax et tout autant à Mont-de-Marsan, entre 1997 et 2009. Un sacré pan de la carrière de l'international italien s'est ainsi écrit sur fond de derby, entre les Rouge et Blanc et les Noir et Jaune. Aujourd'hui retraité des terrains, l'ancien deuxième ligne a rejoint l'équipe des correspondants de Midi-Olympique pour suivre l'actualité de l'USD. Avant le premier derby de la saison, il explique à Ennio, son fils de 9 ans, la magie de ces confrontations directes et douze saisons de son histoire personnelle.  

Cet été, Ennio, mon fils de 8 ans, me demande : «papa, au centre aéré les copains ont parlé du derby entre Dax et Mont-de-Marsan. C’est quoi ce derby ?» Tout d’abord, il est bon de préciser que mon fils ne joue pas au rugby. Il avait un an quand j’ai mis fin à ma carrière. Il sait à peine que j’ai été joueur de haut niveau plus du double de sa jeune vie.

Un derby sacré via Google

Pour répondre à sa question, je suggère un geste naturel pour les enfants de sa génération. Je lui propose de taper dans Google, le mot derby suivi du mot rugby. Avant même qu’il ait fini d’écrire « derby rug » le menu déroulant propose comme deuxième occurrence : « derby rugby dax mont de marsan » ! Je constate, avant de lui répondre, que les puissants algorithmes de Google confirment une chose : le match entre Dax et Mont-de-Marsan semble représenter « statistiquement » un archétype du genre…Il lit la définition et comprend que la proximité des deux villes a créé au cours des années, une grande rivalité sportive. Il sait que nous ne sommes pas originaires des Landes. Je lui explique donc comment j’ai découvert les Landes par le rugby. C’était à l’époque où je jouais à Nîmes. Cette initiation commence en 1992, par un match plutôt âpre de Challenge Du-Manoir à Dax, un 27 décembre.

Le triptyque landais

Peu après, le trajet en bus depuis le Gard, me conduit du côté de Tyrosse. A cette occasion, je découvre un autre volet du rugby landais, celui de la Fougère… Le match ne connaît pas de terme, la faute à une chamaillerie générale et à un envahissement du terrain (de nos jours, tweeter se serait délecté d’un match de Top 14 sans sirène... si ce n’est celle des gendarmes). Pour finir cette « prise de contact », quelques mois plus tard, nous retraversons d’est en ouest le sud de la France, pour cette fois, rencontrer le Stade Montois à Barbe d’Or (l’ancien nom du stade Guy-Boniface). Après une défaite à Dax et un match « nul » à Tyrosse (…), nous gâchons un peu la fête d’inauguration de la Maison des Sports en gagnant en terre montoise. 

Dettes familiales

J'explique ensuite à Ennio que des années plus tard, c’est à l’US Dax que ma carrière va continuer. A l’époque d’un rugby amateur, je poursuis également ma carrière professionnelle en intégrant une autre institution de la ville : son hôpital. En pénétrant l’intimité du club, je commence à comprendre qu’il ne faut pas confondre une abeille et un cul rouge… Je vais être initié par mes partenaires formés au club. Ils s’appellent Beraud, Ibañez, Labeyrie, Dourthe, Berilheou Arrieumerlou…  Ils ont tous en magasin des dettes familiales qu’on leur a léguées. Ce bagage est enrichi par des « derbys », toujours animés, dans les catégories de jeunes. 

Rue du stade de rugby

J’explique à mon fils qu’on me raconte des histoires de monstres et de gentils. On me parle d’injustice et de finales perdues. Quand on n’est pas landais, on vit cette rivalité comme on vit son premier mariage dans la belle famille. On ne comprend pas toujours pourquoi le tonton fait la gueule au pépé. Avec le temps, on écoute, on comprend et parfois, on prend parti… La légende est contagieuse… Je me rends vite compte que la rivalité, empruntant l’alibi sportif, déborde sur d’autres secteurs économiques et politiques. Pour exemple, les deux hôpitaux landais ont pour particularité d’être séparés par une rue, du stade de rugby. Là aussi, la légende contamine les couloirs...  

Un fanion Jaune et Noir

Dans les années 90, le Stade Montois connait un sérieux trou d’air. Il faut attendre une rencontre de Coupe de France, en 1999 à Dax, pour remettre à l’affiche ce mythe sur herbe. Pour ce match de gala, l’équipe de Dax est au vert. Un bus de la RDTL (régie landaise de bus) vient nous chercher à l’hôtel. Notre intendant, Claude Dufau (véritable encyclopédie vivante de l’US Dacquoise) monte dans le bus en premier. Un hurlement déchire ce silence de cathédrale. Le rétroviseur est lesté d’un fanion Jaune et Noir. Sacrilège ! Dans la milliseconde, le miroir est débarrassé de son écusson montois. On n’a jamais revu le bout de tissus ! 

 

Syndrome landais

En pleine préparation du mondial 1999 avec l’équipe d’Italie, il ne m’est par permis de jouer. J’assiste au match en compagnie de mon compatriote transalpin, Walter Cristofoletto, qui vient de signer au Stade Montois. Le match, gagné par les montois, est fidèle à la tradition : des cartons rouges, des doigts d’honneur et des dossiers supplémentaires au rayon contentieux… A la fin du match, je me tourne vers Walter. Son visage est explicite… il vient d’assister à un condensé du «syndrome landais»… Si ce n’est à l’occasion de matchs «amicaux», les deux clubs se croisent sans se toucher. C’est en 2003 que l’histoire se complique pour moi… Je ne fais plus partie des plans de l'USD qui évolue depuis un an en ProD2. Je pense à arrêter ma carrière… 

Un dacquois chez les montois

Après six saisons à Dax, c’est un coup de téléphone du président montois qui va me faire changer d’avis, et de vie. De 2003 à 2009, je vais connaître l’autre côté de l’histoire. Cette option me permet de maintenir mon activité professionnelle et ma résidence à Dax… Au début, je deviens un montois pour les dacquois et je reste un dacquois pour les montois. Curieux sentiment. 

«Ici, on n’aime pas trop ces couleurs»

Les codes vestimentaires étant moins protocolaires, il m’arrive parfois de revêtir des tenues rouges et blanches à l’entraînement. A chaque fois, une voix me parvient du bord du terrain. C’est celle de Nicolas Pédarré, fils et petit-fils de président montois. Il me rappelle avec malice, qu'«ici, on n’aime pas trop ces couleurs...» 

Je vais connaître, au cours de ces années, une douzaine de «derbys». Curieusement, de ce côté-là des Landes, cer-taines anecdotes ont des versions divergentes... Comme tous les lieux publics de la ville, l’hôpital est le théâtre de tous les pronostics la semaine précédant l’affiche. J’ai droit à chaque fois à mon lot de blagounettes et de messages subliminaux.

Avec Bérek…ou contre

Pour moi, tous ces matchs ont une constante. La présence sur le terrain de l’inamovible, Rudolph Bérek. J’ai joué à ses côtés pendant six ans à Dax. Je vais le retrouver en face les cinq années qui vont suivre. La sixième et dernière pour moi est un peu spéciale. La saison 2008-2009, je retrouve le Top 14 avec le Stade Montois. Dax vient de passer la saison dans l’élite. La rétrogradation d’Albi (un autre club jaune et noir) permet aux Dacquois d’être repêchés. Les deux clubs landais se retrouvent donc au sommet du rugby français. Le simple fait de voir les voisins invités au banquet des rois est en soi, une anecdote. L’intersaison va revêtir un autre aspect symbolique. Cinq ans après mois, c’est mon vieux compère, Rudolph, qui va traverser les Landes pour me rejoindre chez les « abeilles ». Avec ses 38 ans et mes 37, nous allons former la plus vieille seconde ligne du championnat. C’est au travers ce vieil attelage que je vais vivre mes deux derniers derbys… La boucle est bouclée.

La fable de l’abeille

Je conclue en expliquant à mon fils que ces histoires de derby sont aussi nécessaires qu’elles sont exagérées. Qu’on occupe ailleurs les soirées d’hiver avec des histoires de chasses ou de forêts hantées. Mais qu’ici, on aime à comparer les équipes et mesurer la bravoure de ceux qui règlent ces tensions historiques par procuration. Cela fait la joie des supporters et des commerçants, c’est déjà ça... Cela confirme surtout que la différence crée toujours le sens. Les villes sont différentes, les clubs sont différents. La fable de l’abeille qui virevolte dans les champs de maïs avec la coccinelle rouge à pois blancs n’est pas prête de connaître son épilogue… Par Laurent Travini

Vous êtes hors-jeu !

Cet article est réservé aux abonnés.

Profitez de notre offre pour lire la suite.

Abonnement SANS ENGAGEMENT à partir de

0,99€ le premier mois

Je m'abonne
Voir les commentaires
Réagir
Vous avez droit à 3 commentaires par jour. Pour contribuer en illimité, abonnez vous. S'abonner

Souhaitez-vous recevoir une notification lors de la réponse d’un(e) internaute à votre commentaire ?